Il y a 80 ans, Achille Muller entamait un périple hors norme pour rejoindre le général de Gaulle. Le début d’une « grande évasion » qui allait lui permettre de s’engager dans les commandos, des unités d’élite qui ont participé activement à la Libération.
14 juillet 1942. Rue des Moulins à Forbach, un jeune homme de 17 ans enfourche son vélo. Il s’appelle Achille Muller et vient de prendre une décision lourde de conséquences. Dans cette Moselle annexée, il sait que, dans quelques mois, il sera incorporé de force dans l’armée allemande. Une perspective à laquelle il ne peut se résoudre. « J’ai dit à mon père qu’il n’était pas question de servir le IIIème Reich. Et que puisque j’avais l’âge de porter un uniforme, je porterais celui des forces françaises qui combattaient encore », raconte Achille Muller. Pour éviter toute mesure de représailles à l’encontre de ses parents, il rédige une lettre indiquant qu’ils ne sont pas au courant de son initiative et qu’il part contre leur volonté. Un long voyage débute alors pour rejoindre Londres.
Le périple vers l’Angleterre s’annonce particulièrement dangereux. Il faut dans un premier temps quitter le territoire du Reich. Achille a un oncle qui tient un café à Gravelotte. Il parvient à rejoindre la France occupée et se présente à des gendarmes qui l’aident à prendre un train.
« J’ai eu énormément de chance », reconnait Achille Muller. Une chance qui l’accompagne encore dans le Doubs, au moment de franchir la ligne de démarcation. Dans un hôtel-restaurant, il fait la connaissance d’un passeur. Son vélo lui sert de monnaie d’échange.
En zone libre, il se rend à Lyon où il trouve un emploi pour pouvoir payer son passage vers l’Espagne. Mais la guerre le rattrape. Suite au débarquement de troupes américaines et britanniques en Afrique du Nord, les Allemands occupent tout le sud de la France.
Fin 1942, alors qu’il a établi des contacts avec la Résistance, Achille Muller est à Perpignan. Il franchit la frontière espagnole à pied. Une traversée des Pyrénées dans la neige et le froid avec un passeur qu’il soupçonne de vouloir le livrer à la Guardia Civil. Avec le risque d’être pris par les autorités franquistes espagnoles et d’être remis aux Allemands. La guerre civile a laissé des traces et c’est grâce à l’aide d’activistes républicains, et à sa bonne fortune, qu’Achille commence à traverser l’Espagne.
Les consulats anglais et américains l’abritent. Sa maîtrise de l’allemand l’aide à se faire passer pour un citoyen du Reich. Il finit par rejoindre Algesiras, et Gibraltar. Un territoire britannique où il peut, après plusieurs péripéties, trouver un navire lui permettant d’atteindre l’Angleterre.
Ce parcours périlleux intrigue à son arrivée sur le sol anglais. Comment ce jeune homme qui parle allemand, a-t-il pu quitter le territoire du Reich, traverser plusieurs frontières très surveillées et des pays « amis » des nazis sans se faire prendre ? Soupçonné d’être un espion, l’insoumis passe près de trois mois entre les mains des services de renseignement britanniques avant de pouvoir s’engager dans les Forces Françaises Libres.
Achille demande à rejoindre les parachutistes au sein du Special Air Service. « On m’a dit que ce n’était pas pour moi. Que j’étais issu d’une bonne famille et que chez les parachutistes, il y avait beaucoup de voyous. J’ai choisi d’être un voyou ! », raconte-t-il avec un sourire.
Un bandeau « France » cousu sur son uniforme britannique, il intègre le 4ème S.A.S et entame un entraînement de plusieurs mois en Ecosse. Comme ses camarades, Achille apprend à sauter en parachute, découvre le maniement des armes, le lancer de grenades, la pose d’explosifs en tous genres. Ils apprennent à frapper, s’échapper et frapper encore. Des techniques de guérilla qu’ils espèrent utiliser très bientôt sur le sol français.
Pour beaucoup de S.A.S français, le « Jour J » arrive dans la nuit du 5 au 6 juin 1944. Des parachutistes sont envoyés en Bretagne avec pour mission d’empêcher l’envoi de renforts allemands qui pourraient compromettre les chances de succès du débarquement allié en Normandie. Mais Achille, pilote de jeep, ne fait pas partie de cette vague et ronge son frein. Il lui faut attendre la nuit du 5 août pour être largué par planeur au-dessus de la lande bretonne, à proximité de Vannes.
« Lorsque j’ai touché le sol, j’ai sauté de ma jeep et j’ai embrassé la terre de France. », raconte Achille Muller. « C’était un bonheur indescriptible de revenir dans ce pays qui avait été conquis par les nazis. Surtout pour moi qui avait été allemand contre mon gré. »
Appuyés par des résistants bretons, les commandos harcèlent les unités allemandes et mènent des opérations de reconnaissance qui facilitent la progression des troupes américaines. Ils font de nombreux prisonniers et participent à la libération de la Bretagne. Le 8 août, les S.A.S et les F.F.I défilent dans les rues de Vannes. La jeep d’Achille, « la Vengeuse », ouvre le cortège. À ses côtés, le commandant Bourgoin, chef du 4ème « bataillon du ciel ». Un moment de fierté pour Achille qui n’oublie pas pour autant d’autres épisodes moins glorieux comme ce jour où il a du intervenir pour arrêter des « résistants de la dernière heure » en train de tondre des femmes sur la place d’un village.
Après les combats en Bretagne, Achille Muller est envoyé au repos en Angleterre. Il participe ensuite, en avril 1945, à l’opération AMHERST aux Pays-Bas. Après-guerre, il décide de rester dans l’armée et il sera affecté deux fois aux troupes aéroportées de Pau.
Depuis quelques années, c’est un autre combat qu’il mène : celui de la mémoire. Vivant aujourd’hui près de Pau, le colonel Muller intervient régulièrement dans des établissements scolaires de la région. « Les élèves ont, pour certains, l’âge qu’il avait au moment où il a entamé son périple pour Londres », indique Gérard Glacial, président du Musée de la Résistance des Pyrénées Atlantiques. « Nous leur montrons un film sur son parcours. Ils sont fascinés. Et quand il fait son entrée pour raconter lui-même son histoire, ils n’en reviennent pas. »
Achille Muller tient à témoigner: « Nous nous empressons, par devoir, de transmettre notre vécu aux jeunes générations. Ma crainte serait que ces jeunes connaissent ce que nous avons connu. » Une volonté sans faille qui force l’admiration des élèves mais aussi de tous les parachutistes pour qui « le colonel » est une légende vivante.
Il coule aujourd’hui des jours paisibles à Billère, et participe tous les ans au repas du Nouvel an des aînés. Un évènement au cours duquel il a fait une intervention remarquée en 2023. Le 8 mai de cette même année, lors de la cérémonie de commémoration de l’armistice de 1945, un hommage lui sera rendu avec le dévoilement d’une plaque donnant son nom à la place où se situe le monument aux morts et retraçant son incroyable aventure.